L’histoire économique du Japon entre la fin de la Deuxième guerre mondiale et nos jours est un cas d’école qu’il faudra enseigner et retenir, tant elle illustre des doctrines de bon sens qui, pour certaines d’entre elles, précèdent de plusieurs siècles le cas étudié ici.
Le Japon : un nouveau modèle de croissance
Après environ quatre-vingts ans de modernisation et de croissance, entre le règne de Mutsu-Hito dans la deuxième moitié du XIXe siècle et le drame d’Hiroshima, le Japon, écrasé par l’Amérique qu’il avait osé défier, n’était plus qu’un champ de ruines. Mais des ruines encore habitées par une population jeune, travailleuse, décidée à reprendre son destin en mains, à défaut de sa pleine souveraineté encore aujourd’hui encadrée par son vainqueur.
Son modèle de croissance alors, qui a été imité plus tard par la Chine, était de copier les autres puissances industrielles, en y sacrifiant son confort, ses salaires, son repos. Pendant des décennies, il s’est agi de fabriquer des motos, des pianos, de l’électronique de qualité seconde, mais à bas prix, de façon à concurrencer par dumping social les puissances occidentales. Puis, après s’être enrichi sur le dos des ouvriers occidentaux, lesquels s’étaient trouvés pris en étau entre un capital avide d’augmenter ses profits et des consommateurs tout aussi avides de consommer à moindre coût, le Japon a pu monter en gamme et concevoir des produits d’aussi bonne qualité. On notera en passant un autre parallèle avec la Chine : le transfert de savoir-faire technique a beaucoup dépendu de l’espionnage industriel, mais pas uniquement toutefois.
En 1968, date ô combien symbolique, année de relâchement général des mœurs en Occident, le Japon passait devant l’Allemagne de l’ouest pour gagner le deuxième rang économique mondial. Il faut préciser toutefois que sa population était de cent millions d’habitants, contre soixante en Allemagne de l’ouest. Mais peu importe, sa réussite était éclatante, étant bien entendu qu’elle dépendait toujours autant de ses approvisionnements extérieurs, puisque ce pays sans ressources ne produit aucune richesse brute, il ne fait que transformer des matières premières.
Le rôle de la Chine dans l’économie japonaise
Il fallut attendre 2010 pour que sa deuxième place soit prise par la Chine, dont le développement ressemble au sien. Mais aujourd’hui, il est de nouveau dépassé…et par qui ? Par l’Allemagne, qui certes, réunifiée après la chute du Mur, compte à présente quatre-vingt millions d’habitants, mais n’atteint tout de même que les 2/3 de la population nipponne.
Que s’est-il passé ? D’abord, arrêtons-nous sur les chiffres des statistiques : deux-tiers, cela signifie un Japon de cent vingt millions d’âmes, qui en perd chaque année huit cent mille. Un effondrement démographique, et ceux qui restent sont majoritairement des gens vieux. Donc un marché intérieur beaucoup moins consommateur : il faudrait, pour relancer l’économie, retrouver une compétitivité à l’exportation. Or, la Chine joue désormais le rôle que lui-même jouait durant les décennies 60 et 70, il est donc difficile de la concurrencer, sauf à devoir accepter les sacrifices consentis après 1945, quand toute une jeunesse était prête à reconstruire ce qui avait été détruit. Ainsi le pays est-il aspiré dans un siphon créé par une pratique excessive d’assouplissement quantitatif monétaire qui a fait perdre au yen 27% de sa valeur face au dollar et renforce une inflation déjà rendue inévitable par le renchérissement de l’énergie, dû en partie aux sanctions américaines contre la Russie, contreproductives pour ses vassaux ; une inflation aujourd’hui deux fois plus élevée qu’en Allemagne.
Une Allemagne qui vieillit elle aussi, mais ne subit pas le même sort, si l’on met à part la conjoncture actuelle. C’est que l’Allemagne, également exposée aux fluctuations de ses performances exportatrices, n’exporte toutefois que de l’allemand, et de première qualité. Voilà donc un rempart contre le dumping chinois : elle vieillit, mais elle peut vieillir en allemand, si l’on peut dire.
Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’il faille oublier l’une des grandes leçons de Jean Bodin, économiste et doctrinaire angevin du XVIe siècle : au bout du compte, « il n’est de richesse que d’hommes ». Pour ne donner qu’un exemple facile à comprendre, une natalité dynamique exige de renouveler périodiquement les vêtements et les chaussures des enfants, de les nourrir, les instruire, les défendre. Cela ne vaut pas pour les pays totalement déshérités, mais c’est tout de même une leçon que les autres pays en déclin démographique devraient méditer. Et son malthusianisme n’a pas empêché le Japon de connaître le quatrième taux de pauvreté parmi les pays de l’OCDE : là encore, le réel vient contredire l’illusoire.
Sources :
-Japon: L’inflation repasse sous les 3% pour la première fois depuis plus d’un an
-Déclassement. le japon ne sera bientôt plus la troisième puissance mondiale