Dans les cours que nous dispensons sur la stratégie de marque, nous enseignons qu’il est extrêmement délicat de changer le nom du produit, sauf raisons majeures, la principale portant sur la réputation, sur l’image de la marque. Mais en général, il est risqué de passer d’un nom à un autre, parce que la notoriété met des années à naître, s’installer, se consolider.
Parfois, une marque a tellement imprégné les esprits qu’elle s’est confondue avec le produit lui-même, donc au-delà de sa propre production. Deux exemples célèbres : le frigidaire, un nom commun que l’on utilise plus communément que « réfrigérateur », alors que Frigidaire n’était pas l’outil, mais une marque parmi d’autres de cet outil : ce qu’on appelle en grammaire une antonomase. Ainsi pouvait-on dire qu’on achète un frigidaire – nom commun – de la marque Darty – nom propre – alors que Frigidaire était en soi une marque, d’ailleurs américaine. Et l’on sait que le nom est resté après l’abandon du secteur par cette marque, et même jusqu’à engendrer un diminutif : le frigo. Voilà un exemple de totale réussite. On peut dire la même chose de la mobylette, un modèle de la marque Motobécane, un cyclomoteur que l’on n’appelait plus que par son nom de modèle. Là encore, on pouvait parler d’une mobylette Peugeot, que l’on pouvait appeler sans réfléchir une « mob’ » : encore un exemple de plein succès de la stratégie de marque.
Changer de nom de marque : une bonne idée ?
Parfois, au contraire, il vaut mieux changer le nom de la marque, même s’il faut alors recommencer le travail de notoriété ; mais c’est possible quand le marché est moins concurrentiel qu’ailleurs. France Telecom, dont la réputation a été ternie par une vague de suicides de ses salariés contraints de passer sans transition de la culture du secteur public à celle du secteur privé, s’est rebaptisé Orange, mais en conservant la propriété de son réseau, qu’elle n’était que contrainte de louer à ses concurrents. Cela vaut dans d’autres secteurs, par exemple celui des assurances étudiantes, où la concurrence est très faible : la MNEF, Mutuelle Nationale des Etudiants de France, très marquée politiquement et impliquée dans un scandale de corruption organisée par le Parti Socialiste qui à l’époque dominait la scène politique, a changé de nom en LMDE, La Mutuelle Des Etudiants ; mais le travail d’acquisition de sa notoriété a été rendu facile par la présence d’un seul concurrent sur la chalandise.
Que penser de la décision d’Elon Musk de passer de Twitter à X ?
D’une part, rappelons que Twitter, elle aussi, a traversé une crise grave, perdant la moitié de ses revenus publicitaires. Elle s’est révélée, comme la MNEF en son temps, un outil politique, en l’occurrence, au service du camp démocrate, au point que le président républicain Trump s’y est vu supprimer son compte. Elon Musk l’ayant acquise, a licencié la moitié du personnel, jugé trop militant, bref, une crise comme aucune entreprise n’aimerait en connaître. Pourtant on peut se dire que la marque à l’oiseau bleu avait réussi à entrer dans les esprits au point d’avoir engendré un verbe : « twitter ». Il faut dire que la marque avait elle- même emprunté son nom à un mot anglais signifiant le gazouillis des oiseaux : c’était vraiment une réussite totale en termes de marque.
Mais Elon Musk surmonte cet obstacle en améliorant le service proposé. La publication ne sera pas limitée à 140 caractères, mais pourra contenir plusieurs heures de vidéos, et à court terme, une application pour la messagerie, les paiements, tous les services… Reste le choix du nouveau nom : X, imposé à toute son équipe, qui craignait la confusion avec tout et n’importe quoi sur le web, notamment les sites pornographiques. Mais en réalité, Musk a deux raisons derrière la tête. D’abord l’appartenance de son acquisition à son empire, dont le fleuron est SpaceX ; mais aussi, le fait que ce symbole, disponible sur tous les claviers, y compris en Chine dans sa compréhension mathématique, est tellement universel que si une autre entreprise souhaitait l’utiliser à son tour, certes protégée par l’impossibilité de se voir contester une seule lettre, en réalité elle lui ferait de la publicité gratuite.
Reste maintenant à convaincre les publicitaires – payants, ceux-là – de revenir, ce qui ne sera peut-être pas facile, mais pour d’autres raisons, purement politiques, touchant le climat d’avant-guerre civile qui s’est installé au Etats-Unis.
Sources :
États-Unis : géant et aveuglant, nouvelle polémique autour du logo « X » de Twitter à San Francisco